Le Japon d'Yves Saint Laurent
Pierre Bergé se rend une première fois au Japon en 1962 afin de préparer son séjour avec Yves Saint Laurent l’année suivante. Ils se passionnent tous les deux pour ce pays, constituent une collection d’objets et rassemblent des ouvrages qui sont pour le couturier une source d’inspiration constante.
Chapitre 1
1963, le premier voyage
En 1963, moins de deux ans après l’ouverture de la maison de couture, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé se rendent au Japon à l’occasion de la présentation de la collection printemps-été grâce à l’intermédiaire de Monsieur Hiroshi Kawazoe, représentant de la maison Yves Saint Laurent au Japon et ami personnel de Pierre Bergé. Ils visitent Tokyo et Kyoto où ils peuvent admirer les fameux cerisiers en fleurs (sakura) en compagnie de courtisanes vêtues de kimonos chatoyants. Elles évoquent les estampes polychromes, dont Yves Saint Laurent possédait quelques exemplaires dans son appartement place Vauban, qu’il n’acheta pourtant pas sur place. Ils se rendent aussi à Nara, l’ancienne capitale impériale aux multiples temples, dans lesquels déambulent des milliers de daims en liberté.
Très tôt je suis allé à la rencontre du Japon et tout de suite j’ai été fasciné par ce pays ancien et moderne et j’ai, depuis, à diverses reprises subi son influence.Yves Saint Laurent, 1990
Chapitre 2
Des liens commerciaux avec le Japon
Entre 1955 et 1957, Yves Saint Laurent est l’assistant de Christian Dior. Ce dernier lui confie d’ailleurs la réalisation d’une collection destinée à l’exportation, qui reprend les étoffes soyeuses du Japon brochées de motifs décoratifs au fil d’or.
Le voyage au Japon de 1963 fut l’occasion pour Yves Saint Laurent de sceller un accord entre la maison de couture et les grands magasins Seibu par l’intermédiaire de Kuniko Tsutsumi leur héritière. Elle sélectionne des pièces dans la collection haute couture qui sont ensuite fabriquées et vendues dans ses magasins. Lors du voyage de 1975, des défilés seront de nouveau organisés dans le grand magasin.
Je pense qu’Yves Saint Laurent, qui emprunta souvent à l’Asie, appréciait particulièrement le Japon. Sans doute est-il l’un de ceux qui ont le mieux compris la culture japonaise tant dans son approche esthétique qu’iconographique.Kenzo Takada
Chapitre 3
La collection d’objets japonais
Yves Saint Laurent et Pierre Bergé rassemblent à partir de 1960 et durant toute leur vie, une impressionnante collection d’œuvres d’art. Les objets asiatiques et en particulier japonais y occupent une place limitée mais représentative de la haute qualité de l’artisanat d’art produit dans l’Archipel. Ainsi, ils possèdent un ensemble de boîtes et de mobiliers en laque (urushi) dont le décor en poudre d’or (maki-e) fait montre d’un savoir-faire hautement élaboré. Les céramiques, quant à elles, sont majoritairement des porcelaines aux décors floraux et végétaux, témoignant du lien intrinsèque que les Japonais entretiennent avec la nature. La plupart de ces œuvres sont achetées en France chez les antiquaires et galeristes tandis qu’un petit nombre est commandité sur place comme en témoigne la lettre de Hiroshi Kawazoe que Pierre Bergé reçoit de Tokyo le 28 avril 1963 : « le paravent de Monsieur Saint Laurent est en voie de complétion. Nous veillons à ce que le travail soit parfait [...] il lui parviendra sans doute courant juillet ».
Chapitre 4
L’inspiration à travers les livres
Dans la bibliothèque du studio d’Yves Saint Laurent se trouvent plusieurs livres sur le Japon, sa culture et son artisanat qui permettent de retracer les sources d’inspiration des ensembles et accessoires inspirés par ce pays.
Des parallèles peuvent alors être faits entre les livres Japanese Costume and Textile Arts et Ukiyo-e, 250 ans d’estampes japonaises et les kimonos de la collection de l’automne-hiver 1994. Les inrôs rectangulaires reproduits dans le livre Japanese Lacquer, 1600-1900, selections from the Charles A. Greenfield collection, rappellent le flacon du parfum Opium, tandis que les inrô arrondis semblent avoir inspiré des sacs à main datés autour de 1977. Les écritoires présents dans ce même livre peuvent être perçues comme source pour la soie lamée à motif de bambous d’un ensemble de soir long de la collection automne-hiver 1978.
Chapitre 5
La collection automne-hiver 1970
Une série de sept robes de soir en crêpe georgette de la collection automne-hiver 1970 s’inspire du Japon. Créées dans une forme simple, droite, avec une ouverture sur le côté pour certaines, elles sont dans des coloris sombres tels que le cuivre, le noir, le marine et le bleu-vert. L’inspiration japonaise apparaît dans les motifs des broderies qui ornent ces modèles : fleurs de cerisiers (sakura), glycines (fuji), prunus (ume) et roseaux qui rappellent la végétation japonaise reproduite sur les estampes et les objets décoratifs. Deux autres modèles, une robe et une veste-tunique en satin de soie, aux couleurs plus claires sont brodées de papillons et de branches fleuries de cerisiers. Plusieurs de ces ensembles sont ornés d’un ras de cou en métal doré en forme de papillon réalisé par l’artiste Claude Lalanne.
Chapitre 6
Le voyage de 1975
Du 6 au 18 novembre 1975, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé retournent au Japon pour présenter la collection automne-hiver de cette même année. Une partie de l’équipe du studio de la maison de couture, dont Loulou de La Falaise et Anne-Marie Muñoz, leurs amies Betty Catroux et Marina Schiano ainsi que six mannequins et deux habilleuses, les accompagnent. Ces quelques jours passés entre Tokyo et Kyoto sont rythmés par de nombreuses interviews télévisées, des défilés, des dîners et la visite d’une exposition d’œuvres florales au musée Seibu. Les bénéfices de deux des défilés sont reversés à la Japan Tuberculosis Association.
Chapitre 7
Le Kabuki
Pierre Bergé et Yves Saint Laurent ont l’habitude d’assister à des spectacles de Kabuki lors de leurs voyages au Japon. En témoigne la lettre de Baiko Onoe découverte dans un magazine sur cet art, dans laquelle l’acteur dit qu’il serait honoré de recevoir Monsieur Yves Saint Laurent dans sa loge lors de sa visite au théâtre.
Le kabuki est une forme de théâtre traditionnel née au début de l’époque d’Edo (1603-1868). D’abord interprété exclusivement par des femmes, le kabuki fut réservé aux hommes à partir de 1629, à la suite d’un décret du gouvernement interdisant la scène aux femmes. Les costumes jouent donc un rôle primordial, permettant de différencier au premier regard un personnage masculin d’un rôle féminin. Les acteurs ne considéraient pas leurs habits de scène comme de simples accessoires, mais comme une part intégrante de leur rôle, qui influait profondément sur leur jeu. Cette place centrale du vêtement est intimement liée à la nature même d’un spectacle de kabuki. Un habit réussi doit, par ses couleurs, ses motifs et sa coupe renseigner au premier coup d’œil les spectateurs sur l’âge, la nature et parfois même le destin d’un personnage.
En 2012, la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent dédie une exposition au théâtre Kabuki.
Chapitre 8
Les Iris
La nature est un thème de prédilection dans l’art japonais. Que ce soit sur des estampes, des décors de temples ou des textiles, les iris y sont souvent représentées. On les retrouve notamment sur les fabuleux paravents d’Ogata Korin (1658-1716) et dans les estampes de Katsushika Hokusai (1760-1849). C’est après l’exposition universelle de 1867, où le Japon marque sa présence officielle pour la première fois, que naît le mouvement japonisme qui influence les artistes parmi lesquels Vincent van Gogh (1853-1890). Sa peinture Les Iris datant de 1889 et conservée au J. Paul Getty Museum de Los Angeles est une réinterprétation de la série Iris et sauterelle d’Hokusai. C’est dans cette mouvance que s’inscrit Yves Saint Laurent quand il réalise pour la collection printemps-été 1988 une veste entièrement brodée par la maison Lesage qui reprend ce tableau, et à travers lui, plus largement, cette iconographie japonaise.
Yves Saint Laurent a su réinterpréter brillamment et avec virtuosité ce thème en jouant des différentes formes d’iris, pour faire de cette pièce l’une des plus impressionnantes de ses collections. Pouvoir porter cette œuvre de maître est incontestablement ce qu’il y a de plus chic.Kenzo Takada
Chapitre 9
La rétrospective de 1990
Yves Saint Laurent retourne au Japon à l’automne 1990 pour l’ouverture d’une exposition rétrospective de son œuvre. Cette dernière s’inscrit dans la lignée des expositions dont la première s’est tenue au Costume Institute du Metropolitan Museum of Art de New-York en 1983, avec pour commissaire Diana Vreeland. C’est la première fois qu’une exposition de mode sur un couturier encore vivant et dont la maison est toujours en activité est organisée. Cette exposition a ensuite voyagé dans différents pays dont le Japon. C’est au Sezon Museum of Art de Tokyo qu’elle est présentée de novembre à décembre 1990. Elle se compose de trois parties : une rétrospective des créations de 1958 à 1990, une exposition des dessins de théâtre d’Yves Saint Laurent et une exposition de photographies de mode.
Chapitre 10
Un hommage rendu au Japon : la collection automne-hiver 1994
Les ensembles de soir de la collection automne-hiver 1994 constituent un hommage au Japon à travers une citation littérale des kimonos. Vêtement traditionnellement d’intérieur, le kimono devient un manteau d’apparat porté au-dessus d’une robe. En version longue ou courte, la ceinture obi est remplacée par une passementerie brodée de perles de rocailles. Les tissus de ces kimonos, des matelassés de soie lamés et imprimés, ont été créés par la maison Abraham. Ils sont très proches des tissus traditionnels du quartier de Nishijin dans lesquels des lamelles de papiers dorés sont insérés dans l’armure du fond. La forme de ces kimonos est classique avec des manches amples et un pan qui vient croiser le second.